Si la distanciation sociale reste la seule approche pour ralentir le taux d'infection, elle entraîne de nouveaux comportements et modifie notre relation à l’art. Presque unanimement perçu comme un vecteur de sensations dont l’expérience se fait en chair et en os, la société s’accorde sur son caractère cohésif et l’intérêt d’en faire l’expérience physiquement. En effet, découvrir la production d'un artiste lors d'un vernissage, retrouver ses proches pour une exposition ou flâner dans les allées d'un salon... tous ces événements liés à l'art procurent une expérience unique qui rend le monde de l'art si spécial. Alors que les entreprises ont reçu l’ordre de fermer leurs locaux et les rassemblements de se disperser dans le but de contenir la propagation du Coronavirus, les galeries, les artistes et les institutions se sont rapidement tournés vers le vaste potentiel d'internet pour donner naissance à de nombreuses initiatives en ligne. Au-delà des espaces d'exposition virtuels et des campagnes d’email pour maintenir le business, les acteurs du marché de l'art se sont concentrés sur la mission première de la transmission artistique, soit l'apport culturel et la génération d'émotions positives, de liens sociaux et de réflexions sociologiques. C'est comme si, le fait tous traverser la même crise effrayante dans des conditions plus où moins similaires - soit enfermé chez nous-, créait un espace de solidarité où chacun, de la plus petite galerie en ligne aux galeries mondialement connues (“blue-chips”), prenait sa mission au sérieux. Tout en veillant à la sécurité de nos partenaires, nous avons profité des dernières semaines pour faire la synthèse des différentes idées que les organisateurs de salons, les galeries, les artistes et les institutions ont entreprises.
Si la fameuse “viewing room” d'art Basel HK a fait sensation et que les micro-sites des exposants d'Art Paris ont suscité la curiosité, d'autres organisateurs de salons ont adopté une approche différente. Par exemple, Hélène Mouradian, la directrice du Salon du Dessin et de Fine Arts Paris a proposé, en collaboration avec Connaissance des arts (un magazine d'art appartenant au même groupe) de dévoiler régulièrement un dessin sélectionné par un des exposants du salon. Préférant "arroser plutôt que inonder", Mme Mouradian et Guy Boyer (rédacteur en chef de CdA) ont fait le choix d'espacer les publications dans le temps, créant encore plus d'excitation pour les collectionneurs, impatients de tomber sur la prochaine histoire cachée derrière un dessin. Vous pouvez trouver les chroniques sur les sites web du magazine et du "Salon du dessin". Selon Hélène Mouradian, "l'important est de rester positif et de continuer à travailler afin d'être prêt pour "l'après"".
Rester positif et maintenir le lien sont aussi les principes directeurs des galeries d'art ! Au-delà de la construction de plateformes E-commerce et de catalogues en ligne pour maintenir les ventes "à domicile", nos partenaires (actuels et futurs) ont pris la mission de "messagers de l'art et de la culture" très au sérieux. Par exemple, Florian Azzopardi, le fondateur de la galerie d'art africain en ligne Afikaris, a publié des vidéos faites maison mettant en scène les œuvres de ses artistes sur un fond musical joyeux, dans l'intention d'offrir de la joie et de la légèreté aux gens. La galerie française Michel Rein, également basée à Bruxelles, s'est inspirée des les carnets du sous sol (“Notes from Underground”). Loin de se concentrer sur le potentiel mercantile d’une démarche de communication digitale en ce temps de crise sanitaire, la galerie souhaite surtout soutenir les artistes qui prennent de plein fouet les conséquences du COVID-19. La galerie les a donc invité à partager leur expérience du confinement. De l'artiste de 80 ans Jimmie Durham, pionnier de la série avec la publication d’un autoportrait, à Maria Thereza Alves qui a partagé un moment dans son jardin napolitain en vidéo, l'équipe de la galerie Michel Rein fait un travail incroyable pour faire entendre la voix des artistes. D'autre part, "Pas un jour sans une oeuvre", est la mission qu'Hervé Loevenbruck a pilotée pour faire écho à l'initiative menée en 2008 par les dessinateurs de presse Philippe Mayaux, Miguel Egana, Willem et Daniel Johnstonby. Le propriétaire de la galerie parisienne Loevenbruck publie chaque jour sur instagram une photo d'une œuvre de sa collection, qu'Alexandra Schillinger, la directrice de la galerie, complète par un texte envoyé par le biais d'une newsletter.Selon elle, cette période est aussi une manière de briser les barrières du temps et de la géographie avec enthousiasme et optimisme. Elle ajoute : "C'est une façon de dire aux artistes et aux institutions que même confinées, on n'oublie pas, on les soutient, on se souvient". La galerie d'art contemporain SATOR, qui est l'une des galeries qui ont inauguré un espace dans le site industriel de Komunuma à Romainville, s'est appuyée sur Instagram pour soutenir ses artistes. SATOR a une longue tradition de représentation d'artistes engagés sur le plan socio-politique. Pour leur donner la parole, ils ont commencé à les enregistrer par le biais de petits podcasts qu'ils publient sur le canal insta de la galerie. Enfin, la galerie RX, l'espace de 640 m2 du Marais dédié à l'art contemporain, a commencé à créer des alternatives virtuelles pour compenser l'impact négatif des réunions hebdomadaires des gilets jaunes avant l'explosion de la crise de Covid 19. Comme d'autres galeries qui peuvent se le permettre, elles ont eu recours à Artland.
La crise de Covid est sans aucun doute un coup dur pour l'exposition des artistes, surtout pour ceux qui ne sont pas représentés par une galerie. Reprenant l'idée de la salle d'exposition de Art Basel HK et des visites virtuelles des plus grandes institutions, Charles Belle, un peintre français qui est aussi très populaire en Asie, a lancé la semaine dernière son musée virtuel. Selon ses propres termes : "Je travaille beaucoup avec des grands formats, donc la relation physique avec mon travail est essentielle. Mais dans la crise, les visites à l'atelier et les expositions ne sont pas envisageables. Avec cet outil de visualisation numérique, je peux toujours montrer mon travail malgré le confinement obligatoire ; ce dispositif de musée virtuel permet de mettre en espace l'oeuvre, d'apprécier ses dimensions, ...de se projeter mentalement.”
De la même manière que pour les artistes, les institutions qui reposent sur les entrées souffrent beaucoup de cette crise. Nous avons interviewé la galeriste d'art parisienne Françoise Livinec qui est également à l'initiative de la transformation d'une ancienne école de filles construire en 1810 à Huelgoat en Bretagne, en lieu d’exposition saisonnier. Le lieu, situé au milieu d'un environnement sauvage, chargé d'histoire et d'énergies, accueille chaque été des philosophes, des artistes, des conservateurs et des écrivains pour compléter les expositions, avec des conférences et des ateliers. Pour elle, rien ne remplace la puissance sensuelle de l'art que l'on peut ressentir en voyant, en touchant... et même en sentant une œuvre d'art ! Cependant, les outils digitaux de communication peuvent offrir une alternative aux rencontres physiques et participer au maintien du lien commun lors de circonstances exceptionnelles. C’est après la réception de messages de collectionneurs exprimant l’importance de leurs oeuvres en période de confinement, que F.Livinec eu l’idée d’une mise en commun. Chaque jour, elle reçoit des photos de collectionneurs chez eux, avec une œuvre d'art découverte chez elle, qu'elle compile et partage dans une newsletter quotidienne. Elle permet la création d'un espace à la croisée de l'intimité et de la virtualité, nous rappelant que l’art n’a pas de frontière. Selon ses propres termes : “*Chaque crise est un révélateur de qui on est et de ce qui nous fait vivre. Les collectionneurs qui ont pris du temps pour venir à Huelgoat, pour rencontrer les artistes, pour partager des moments ensemble ont du plaisir à vivre avec leurs tableaux. En ces moments de confinement, les œuvres d’art les renvoient à tous les moments de culture partagés. J’ai repensé toute la programmation de cet été à l’Ecole des Filles. On ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé *».
Bien que cet épisode de pandémie soit profondément difficile, des réactions positives se dégagent de cette crise. Nous observons une approche commune de la part des marchands pour maintenir un lien avec leur réseau tout en apportant un soutien à leurs artistes. Les plus avancés profiteront de l'enfermement pour construire des espaces d'exposition virtuels sophistiqués tandis que d'autres miseront sur le message transmis plus que sur la forme adoptée. Quoi qu'il en soit, des plus "techniquement avertis" aux plus grands adeptes du "physique", tous ont fait preuve d'enthousiasme pour maintenir leurs activités virtuellement. Si les galeristes et les organisateurs de foires ont pu manqué de temps dans le passé pour innover, notamment digitalement, cette crise leur permettra peut-être de repenser le format de leurs évènements et de démocratiser leur offre, notamment grâce à la visualisation 3D.